Créativité et Transformation

31 mars 2017

La fabrique des territoires, ou le retour du politique dans la délégation de service

IMG_1248Lors d’un séminaire de créativité chez un fournisseur de services aux collectivités territoriales, un thème de génération d’idées est apparu sous une forme assez surprenante. Forme qui traduit la nécessité de repenser la relation client / fournisseur dans la fabrication du territoire.

« Comment servir sans nuire ? »

Cette question rejoint des préoccupations déjà rencontrées chez d’autres opérateurs de services publics dans des domaines très variés comme la distribution d’eau ou d’énergie, la gestion des déchets, les transports publics de voyageurs. Comment servir la population, les usagers, les consommateurs (appelez les comme vous voulez !) sans nuire au client direct (les services territoriaux et les élus)? Question universelle puisqu’elle fait aussi l’objet d’interrogations ailleurs que dans l’hexagone comme j’ai eu le loisir de l’observer tout au long de l’année 2016.

Sujet classique rencontré dans le développement des offres « Business to Business to Consumer » mais qui prend là une teinte particulière au regard de la relation entre le client direct, la collectivité et les clients finaux, les utilisateurs du service. Ce type d’offre « Business to Government to User » est plus complexe en raison de la multiplicité des rôles sociaux assumés par le client final (utilisateurs, consommateurs, citoyens) et la nature du contrat (politique – au sens du gouvernement de la cité) qu’il passe avec le client direct, les élus locaux.

Et de fait, le fournisseur se trouve à résoudre une équation à inconnues multiples. Dans son acte d’achat le client final est-il citoyen/ usager, électeur /consommateur, etc… Le client direct est-il l’élu qui interface avec la population du territoire sur lequel j’opère ou les services techniques avec qui j’interface au quotidien ? Ou les deux ?

Dans une assemblée d’opérateurs privés de service, les réponses sont diverses. La confusion première porte sur le client direct. A trop répondre au quotidien aux services techniques, les opérationnels en oublient le contrat signé avec les représentants du peuple et perdent de vue que le renouvellement se fera aussi (parfois surtout) avec les élus sur des enjeux plus transversaux.

Toutefois, au jour le jour, il est bien difficile d’intéresser des élus déjà surchargés de travail à un service « qui va bien ». En effet, personne ne se félicite que les trains arrivent à l’heure. Alors les opérationnels se concentrent sur la relation technique, celle du quotidien, du « réglage des pendules et des chaudières ».

Pourtant, personne n’est à l’abri d’un concurrent plus brillant, mieux connecté aux réseaux d’influence et qui aura travaillé le terrain politique pour donner envie de changement en minimisant le risque à travers une proposition qui tient compte – avec un œil neuf – du contexte local. La fameuse prime au sortant n’est donc pas une règle absolue et la redistribution des périmètres géographiques et de compétences dans les collectivités territoriales en France aujourd’hui le démontre tous les jours.

 

Parallèlement à ces constats des opérateurs privés de service, des chercheurs en sciences sociales qui observent la fabrique du territoire depuis 30 ans décortiquent ce qu’ils appellent le retour du politique dans la gestion des territoires.

D’un côté, expliquent-ils, les individus modifient leur rapport aux infrastructures et aux services sous l’effet notamment de l’apport des nouvelles technologies. Par exemple, les informations en temps réel des applications de mobilité donnent plus d’agilité aux personnes qui se déplacent sur un territoire. Elles peuvent décider avec plus de pertinence, au regard de leur besoin, d’opérer un transfert modal du bus vers le métro, du métro vers le vélo, vers la voiture personnelle ou en covoiturage, vers la marche à pieds, … Cet exemple illustre les arbitrages rendus possibles aujourd’hui.

De fait, la nécessité d’offrir des choix multiples aux utilisateurs d’un territoire donné implique pour la collectivité de penser la transversalité au-delà d’une organisation classique des services (voirie/déplacements, transports publics, communication, statistiques, …)

Et dans le champ de la gestion territoriale, l’élu a en charge – par son mandat – de penser cette transversalité. Il est donc de plus en plus conscient de la nécessité de prendre (ou reprendre) son rôle dans la définition de la stratégie d’offres sur le territoire dont il a pris la responsabilité en acceptant la délégation que représente le vote dans les démocraties représentatives.

 

La nécessité de penser la transversalité dans la fabrication du territoire remet donc l’élu au centre du processus de décision pour nombre de services. La baisse des finances publiques locales, le regard plus acéré porté par les citoyens sur la manière de gérer l’impôt et les sanctions potentielles perçues par les élus sur le vote accentuent le phénomène.

Alors « séduire dans nuire » est sans doute à mi-chemin entre apporter le bon niveau de service au regard de la réalité vécue par les citoyens sur le territoire et travailler toujours et encore l‘équation entre production de valeur réelle perçue sur le territoire et capacité des acteurs à pourvoir à son financement.

Pour ma part, je vois deux options diamétralement opposées pour tenter de résoudre cette injonction à servir.

Soit les offres dans le cadre des marchés publics renforcent le lien entre les élus et les usagers/citoyens à travers des services à haute valeur ajoutée qui produisent plus de qualité de vie perçue et utile sur le territoire donné. Dans ce cas il faudra repenser les modes de financement, travailler la productivité des offres, la légèreté en investissements des solutions proposées.

Soit des solutions « business to consumer» permettent de s’affranchir de ce lien en s’adressant directement à l’utilisateur hors marché public. L’individu perd alors son statut de citoyen pour devenir un client qui arbitre ses choix de consommation. Dans ce cas, c’est le cadre législatif qui doit être assoupli et une réflexion doit être engagée sur l’accessibilité aux services des plus démunis (sous la forme d’un droit au service par exemple).

Bien entendu cette dernière option n’est pas envisageable aujourd’hui pour tous les métiers et/ou services. Mais l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence pour les particuliers est un exemple (à observer) de la capacité des opérateurs traditionnels à se renouveler et à innover, quand la relation directe avec l’usager est légalement possible.