Développement et Organisation

11 septembre 2014

INFORMER OU COMMUNIQUER : pourquoi sommes-nous souvent insatisfaits ?

Informer n’est pas communiquer, c’est le titre choisi en 2009 par Dominique Wolton (1) pour son essai consacré à la communication comme défi du XXIème siècle. Dans ce riche ouvrage, un aspect a retenu mon attention et fait écho à des situations vécues de manière très concrète dans des entreprises que j’accompagne ou que j’observe. En effet, si le progrès technique – notamment des NTIC – a permis de démultiplier les messages, les émetteurs, la capacité de réceptionner et d’être au plus près de l’actualité par les informations données, le niveau de communication dans les entreprises que je côtoie ne me semble pas avoir augmenté, voire la suspicion de manipulation dont a souvent fait l’objet la communication interne est exacerbée dans certaines organisations.

Pour avoir été moi-même en charge du développement de la communication dans plusieurs entreprises, je suis surprise que nous n’ayons pas pacifié notre relation à ce vecteur crucial au fonctionnement d’un groupe humain.

L’analyse de Dominique Wolton aide à étudier ce phénomène de plus près. Elle est essentiellement basée sur l’observation de la confusion régnante entre information et communication. La première s’amplifie et se développe avec le progrès des techniques, tandis que la seconde s’atrophie si nous omettons que la communication est avant tout un acte de relation humaine. La technicisation de la communication entraîne sa désincarnation dans l’entreprise et la relègue à un exercice « de plus » d’information. Dans ce cadre, chacun enclenche son propre filtre à l’information et interprète l’exercice de communication à l’aune de son expérience personnelle et de ses propres critères de hiérarchisation de l’information.

Or la communication dans l’entreprise a pour objet de transmettre autre chose que des informations. Elle participe à la priorisation des valeurs, des enjeux, au positionnement des personnes et des projets afin que chacun trouve sens à venir tous les matins s’adonner à l’exercice collectif de production (matérielle ou immatérielle).

A la lecture des propos de D. Wolton, il me semble que l’information est donc du domaine de la transmission des données, des connaissances, de « l’huile dans les rouages de l’organisation », du sens unique A vers B ou B vers A. La communication qui doit donner confiance, transmettre un message construit, pensé, pesé, est dans l’ouverture à l’autre, la possibilité du dialogue et de l’explicitation. C’est pourquoi l’une supporte l’instantanéité et l’autre nécessite une durée d’élaboration. Ainsi le mail nous paraît incongru pour gérer certaines situations managériales sensibles ou nécessitant une attention particulière.

Certaines informations nécessitent donc un travail de communication pour être transmises, loin du développement d’une « communication automatique » bénéficiant de tous les avantages techniques des nouveaux modes de communication (instantanéité, large diffusion, mobilité, accessibilité, …). Le choix du média ne doit donc pas déterminer la forme de la communication.

D’autant moins que les récepteurs de l’information que nous sommes ont développé depuis quelques 20 ans des capacités autonomes de filtrage des idées, des informations, des connaissances. Comme si l’accession à une multitude d’informations nous obligeait à développer notre propre système de décodage/encodage des données. Ainsi, de plus en plus sollicités, nous développons des filtres de plus en plus sophistiqués et puissants, mais qui ne tiennent compte que de notre propre système de valeurs (issu de notre éducation, nos conditions de vie, nos apprentissages, …), de notre propre vision du réel. De fait, les projets collectifs – comme ceux de l’entreprise – donnent plus lieu à négociation au regard du développement plus fort de nos filtres individuels.

C’est donc pour faire « cohabiter » l’ensemble de nos « visions du monde » au bénéfice de la cohésion et de la survie du collectif que l’entreprise est appelée à repenser ses modes et ses outils de communication.

La voie proposée par D. Wolton pour la société est la détechnicisation de la communication au profit de la relation (moins d’outils et plus de temps consacré au face à face par exemple). Appliquée à l’entreprise, elle renforce le rôle des managers dans la communication et amplifie la nécessité de cohérence de l’ensemble de la ligne hiérarchique dans la diffusion des messages de l’entreprise à ses collaborateurs.

 

Pour approfondir l’approche de la communication par Dominique Wolton, retrouvez-le dans les 12 premières minutes du podcast des Saventuriers, une émission de Fabienne Chauvière sur France Inter, …. Et plus si affinités sur un tas d’autres sujets dans la même émission (durée totale 50 mn).

http://www.franceinter.fr/emission-les-savanturiers-saison-2011-2012-dominique-wolton-sociologue

(1) Dominique Wolton, Informer n’est pas communiquer. Paris, CNRS Éd., coll. Débats, 2009, 147 p.

Dominique Wolton est directeur du laboratoire "Information, communication et 
enjeux scientifiques" du CNRS. Ses travaux portent sur l’analyse des rapports 
entre la communication, la société, la culture et la politique.