Changer, mais vite ! (Ou l’agacement des dirigeants)

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12 juillet 2016

changement

Séminaire de cadres où l’on annonce le changement au pas de course sur un délai d’un an, conférence sur les enjeux de la « raplexité », l’art de traiter de changements complexes rapidement[1], agacements de dirigeants qui trouvent que « tout a déjà été dit, et personne ne fait ! »… Autant d’injonctions à aller vite entendues au gré des missions en cours.

Après presque dix ans de remise en cause au regard de la crise, d’interrogation, de recherche de nouveaux modèles, les dirigeants que je croise accusent une certaine fatigue face à l’effort de traction de l’organisation que semble supposer le changement. « Aller vite » serait une réponse à la baisse d’énergie globale des équipes, à la pression du marché qui bouge. Que cache cette « nouvelle » obsession à se dépêcher qu’exigerait la situation?

Pour ma part c’est ce « fait effort » des dirigeants qu’il me semble urgent d’interroger.

Spontanément, je vois deux sources possibles à ce sentiment de « faire effort ».

Dans le premier cas, la charge opérationnelle, émotionnelle et intellectuelle n’est pas assez (ou pas du tout) partagée avec la ligne hiérarchique.

Il s’agit dans ce cas de travailler à la délégation de cette mission en mettant la ligne hiérarchique au travail pour concevoir le processus qui va permettre de passer de la situation actuelle à celle souhaitée. Cela demande quelques délais pour faire émerger les réponses (car il faut continuer de faire le métier en parallèle). Toutefois, ainsi élaborées, elles ont le mérite d’être ancrées dans le réel de l’organisation et portées ensuite par ceux qui les ont produites.

Les outils du changement émergent construits par Madeleine Laugeri dans ses travaux sont utiles à développer la capacité des leaders à passer commande aux managers pour définir les modalités de la mise en œuvre opérationnelle. Les différents contrats qui sont alors passés entre leader et managers permettent l’allègement des processus de changement, un pilotage partagé par les managers et la prise en charge par les équipes qui vont réaliser.

Les projets peuvent aussi être déployés par vagues successives plutôt que de tout vouloir traiter d’un seul coup dans une grande révolution interne programmée. Dans ce cas, les outils de l’agilité apportent du sens, de la structure, de la souplesse et de la cohérence dans la gestion des projets, parce qu’ils harmonisent les manières de faire. Ils supposent toutefois que le leader considère que l’agilité fait partie de la mission de certains collaborateurs. Il dédiera donc des budgets de formation et du temps de ses collaborateurs à ces fonctions. L’organisation passe progressivement du changement au mouvement, mettant l’énergie des équipes dans les réglages systématiques aux évolutions de l’environnement, plutôt que dans les grands plans quinquennaux. Percevoir pas à pas les réussites, éviter les impasses en s’autorisant à stopper les projets parce que l’impact est limité sont autant de moyen de préserver l’énergie des individus et du collectif.

La deuxième source possible du « fait effort » du leader peut tenir à une forme d’oubli de soi dans la fonction.

Quelle est la posture du leader dans le changement ? Il est coutume de dire que ce dernier (ou cette dernière … ) en est le promoteur. Il doit l’impulser, veiller à sa définition, à l’adéquation de la communication en interne et en externe, modéliser pour ses collaborateurs le comportement requis dans cette nouvelle organisation.

Mais qu’en est-il du rapport du leader – en tant qu’individu – au changement ? Il n’est écrit nulle part que, parce que il est conscient des enjeux de l’évolution de son organisation, le leader est de fait prêt à accepter toute la charge émotionnelle du changement. Les leaders ont le droit de douter, d’avoir peur, de s’interroger sur leurs propres capacités à accompagner ce changement dans leur organisation. Etre à l’écoute de leurs propres besoins face à la tâche à accomplir est un acte de sagesse et peut permettre d’aborder le mouvement avec plus de sérénité.

Ce calme dans la tempête (que peuvent devenir les phases de changement) est un élément de réassurance pour les collaborateurs qui peuvent sentir alors que – malgré le tangage – le bateau est maintenu à flot et le capitaine sait où il veut aller.

Seul le partage et l’échange de pratiques peuvent permettre aux leaders de développer cette posture assurée. Certains les trouvent dans des associations professionnelles ou dans un cercle de dirigeants. D’autres préfèrent le coaching pour sa neutralité dans l’observation des faits et la confidentialité contractuelle de ce qui se dit. Cet exercice a également l’avantage d’aborder – voire de repenser – à la fois la question de l’organisation et celle du « leader-individu » dans l’organisation. Naîtra de ce travail la possibilité d’expérimenter de nouvelles façons de faire bouger l’organisation en sécurité et en conscience des enjeux personnels qui émergent dans les phases de changement – y compris pour ceux qui le pilotent.

Madeleine Laugeri – Les clefs du dialogue hiérarchique – InterEditions – 2015

[1] Un concept un peu daté qui revient sur le devant de la scène…