Conjugaison d’entreprise, 2ème épisode : le futur

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26 mars 2015

En septembre 2014, je vous ai proposé une réflexion sur la place du passé et de l’histoire dans la vie de l’entreprise. Il est temps de tenir ma promesse et d’avancer dans cette chronobiologie de l’entreprise en abordant le futur.

futur

Le futur est à l’observation le temps le plus en vogue et paradoxalement le plus présent dans l’entreprise. Business plan, budget, stratégie, prospective, plan d’action commerciale, prévisionnel de production, autant d’outils qui nous parlent d’un futur plus ou moins proche. Autant d’outils qui nous parlent de ce qui va advenir.

S’il est incontestable que les enjeux de gestion et de prospérité de l’entreprise passent par une vision ajustée du futur, il n’en reste pas moins que cette projection permanente à demain a des effets parfois angoissants pour les équipes et obère la possibilité d’examiner pleinement le présent et d’adopter les comportements appropriés aux situations rencontrées.

Ainsi, au présent nous résolvons des problèmes du quotidien sans forcément mettre en place des solutions pérennes car « demain est un autre jour »…

La succession des plans de réorganisation dans les entreprises, parfois doublés d’un « accompagnement du changement » coupe les collaborateurs et les leaders eux-mêmes du travail réel à accomplir pour remplir les objectifs d’aujourd’hui, déterminés dans ce qui est déjà (!) le passé.

La projection est un exercice complexe puisqu’il suppose que nous imaginions ce qui vient, avec nos références passées ou au mieux notre vision du présent. Le futur n’étant par essence pas advenu, se pose donc la question de la grille de lecture à utiliser. L’exercice produit par Deutsche Post DHL est à cet égard assez instructif Durée de la vidéo 6m45s.

L’incertitude provoquée par l’accélération des mutations technologiques a conduit les entreprises à réduire de plus en plus le pas de temps d’observation. Il y a vingt ans, les entreprises travaillaient des plans stratégiques à 10 ans. Aujourd’hui, le travail d’analyse dans ce domaine se centre sur 3 à 5 ans. Au même titre que le développement de produits et services est le fruit d’un travail d’aller retour entre la conception et l’expérience client, la stratégie devient un travail d’aller retour entre un pas réalisé et l’observation de l’écho de ce pas sur le marché ; écho permettant de déterminer le pas suivant.

Dans cette approche opérationnelle de la stratégie, le futur n’est plus le lieu de la prédiction, mais un terrain de jeu virtuel relativement proche où l’on peut utiliser un des atouts majeurs de l’homme, son intuition.

En effet, n’importe quel acteur un peu structuré peut trouver des données sur son marché. Sa difficulté sera sûrement de les valider, les sélectionner, les croiser, les enrichir. Ce qui fait la valeur du travail stratégique aujourd’hui, c’est la capacité à associer l’ensemble des perceptions, intuitions, connaissances informelles de tous les collaborateurs d’une même entreprise connectés en permanence au marché et dépositaires (souvent sans en avoir conscience) de certains signaux faibles du marché. Individuellement nous avons une connaissance tronquée du réel. Collectivement nous pouvons élaborer une cartographie intuitive de l’avenir, les éléments apportés par chacun des acteurs renforçant la mise au point collective. Associer cette cartographie aux données observables et compilables du marché permet de renforcer le paysage sur lequel la stratégie va pouvoir s’élaborer, sous forme d’un chemin jalonné par les retours en écho du marché évoqués précédemment.

La force des méthodes qui travaillent l’intuition anticipatrice des groupes humains en parallèle des data réside dans la constitution des panels, la capacité de l’animateur à sécuriser le groupe et le mettre dans les conditions de production d’une vision collective intuitive pertinente. Réussie, l’expérience est étonnante tant elle permet de dépasser les a priori métiers, les peurs de dire « des bêtises » et libère la créativité du groupe. L’enjeu de la production de cette pensée collective du futur est de sécuriser les équipes pour aller vers ce qui est à construire, de manière plus innovante car désinhibée. La sécurité et la cartographie collective du futur installées, le mouvement vers le changement des pratiques, des objectifs et des modalités de travail est possible. De fait, vivre au présent dans l’entreprise redevient possible, puisque mes actions ici et maintenant peuvent s’analyser à l’aune de la projection collective (et donc se discuter collectivement dans l’esprit de résolution de problème plutôt que de réaction à une situation).

En quoi la cartographie collective du futur est-elle un élément pertinent de la pensée stratégique pour l’entreprise? Simplement parce que la vision statistique et chiffrée, bien que nécessaire n’est plus suffisante à percevoir les mutations sous-jacentes de l’environnement des entreprises. A l’heure où toutes les informations sont disponibles à qui les cherche, l’enrichissement de la pensée stratégique passe par la collaboration de l’ensemble des acteurs de l’entreprise à la création de l’image globale du futur. Sensations, intuitions, observations de chacun contribuent à enrichir et valoriser le capital stratégique de l’entreprise. L’important est de structurer cette démarche pour qu’elle ne soit pas qu’un grand happening ponctuel, mais bien un outil permanent et reproductible qui permette le mouvement de l’entreprise dans son écosystème.

Alors l’entreprise n’est plus soumise au changement permanent mais en mouvement. Elle avance pas à pas, dans un rythme qui permette de valider les options choisies, parfois d’y renoncer pour mieux investir un champ plus prometteur. Elargir le champ de la prospective à toutes les couches de population dans l’entreprise permet de se connecter plus largement à l’environnement et d’en percevoir le rythme cardiaque.

Ce type de démarche suppose un leadership installé et sécurisé, capable d’accepter l’entrée dans la sphère stratégique de catégories de population non admises jusqu’alors (opérateurs de production, téléacteurs, commerciaux, chefs d’équipes…).

Les bénéfices de la démarche sont à la fois sociaux (adhésion plus rapide à un projet co-créé, moins de procrastination et plus d’énergie), économiques (passage plus rapide des phases de changement et apprentissage de méthodes de résolution de problèmes qui perdurent), sociétaux (perception de l’entreprise par son environnement plus positive car inclusive, attraction des talents).

Elle suppose une culture ouverte à l’impermanence, à l’acceptation du mouvement comme participant de la vie de l’entreprise, à la confiance dans la richesse du collectif au regard de sa diversité.

Le bon usage du futur c’est la capacité d’une entreprise à anticiper ses mouvements en veillant à limiter l’insécurité des personnes. C’est aussi la possibilité de considérer que se tromper fait aussi partie du futur et qu’il est possible de renoncer à un axe stratégique pour en privilégier un autre. Cette flexibilité parle aussi de la capacité des dirigeants (et des financeurs !) à régulièrement travailler et remettre en question les critères de choix des investissements structurants matériels et immatériels.